Cyclocosmia, n° II, Obernai, juin MMIX, revue d'invention et d'observation.
Ha salido el segundo número de la revista Cyclocosmia, publicada por la Asociación Minuscule, en Obernai, Alsacia. La revista es original y exquisita tanto por la factura como por el contenido. Inesperada y muy completa en cuanto al tema: casi enteramente dedicada a José Lezama Lima. En este sentido aparecen por orden los siguientes ensayos y textos:
1- Le cours delphique. José Lezama Lima s'entretient avec Ciro Bianchi Ross, traducido por Antonio Werli.
2- José Lezama Lima: un étrusque, un être anachronique, hors du commun, de William Navarrete.
3- José Lezama Lima. Repères chronologiques et bibliographie sélective, de Antonio Werli.
4- Lezama Lima: la foi dans l'encre, de Olivier Renault.
5- Hétérogenèse de l'image. Absence, distance et différence dans la poétique de Lezama Lima, de Julien Frantz.
6- L'objectif ultime de la littérature, de Pacôme Thiellement.
7- Nouveau Mallarmé, de José Lezama Lima, traducido por Antonio Werli.
8- Lezama Lima, le "Proust" des Caraïbes? Jeux de miroirs tranatlantiques, Pedro Babel.
10- Bestiaire pour une décapitation. Du jeu de mains au "je" de vilains, de David Gondar.
11- Miroir. Double, homologue et homosexualité dans "Oppiano Licario", de Benito Pelegrín, traducido por Antonio Werli.
12- Le corps écrit de José Lezama Lima, de Armando Valdés, traducido por Audrey Aubou.
13- Lezama ou l'invité de pierre, de Iván González Cruz, traducido por David Gondar.
14- Lezama: le calamar et son encre, de Enrique del Risco, traducido por David Gondar.
Los dos últimos textos fueron tomados de Aldabonazo en Trocadero 162 y traducidos al francés.
Aquí les dejo el texto que escribí expresamente para esta revista. Lamentablemente sólo lo tengo en francés:
Lezama Lima : un étrusque, un être anachronique, hors du commun.
William Navarrete
Énigmatique, encore aujourd'hui, José Lezama Lima, qui portait le poids d’une sensibilité profonde dans un pays où tout semble être tourné en dérision, aimait remonter aux sources de la formation des langues latines, et parlait de lui-même comme d'« un Étrusque dans la Vieille Havane ». Plus que La Havane à part entière, il privilégiait les quelques pâtés de maison de l’ancien centre de la capitale cubaine, sa ville natale, autour de la Promenade du Prado jusqu’aux rues étroites de la partie coloniale, pour imaginer, puis mettre en œuvre sa propre cosmogonie. Que ce soit à partir d’un livre rare trouvé sur une étagère d’un vieux libraire de la rue O’Reilly, ou au fil d’une conversation neé du hasard d’une rencontre sur la petite place d’Albear, ou encore lors d’une réunion entre amis dans un café proche de la demeure des Capitaines Généraux espagnols d’autrefois, cette Havane qu’il chérissait tant et qu'il ne quittera presque jamais, était le centre de son univers. A l’est, le fleuve Almendares au cours insignifiant, sans autre histoire que celle de quelques incursions de corsaires et pirates, lui rappelait le Tibre traversant l’Ombrie pour jeter sur Rome sa source de vie.
L’imposante figure de Lezama évoluait à l’image d’un totem sacré dans cette ridicule portion de ville. Elle grandissait et devenait incontournable grâce à l’énorme capacité de fabulation de l’écrivain plutôt qu’aux réelles conditions de son entourage. Ainsi, son entreprise littéraire, raffinée et grandiose, démesurée et ambitieuse, devenait peu à peu son propre juge : La Havane vivait au rythme d’une modernité étrangère à ses rêveries. Pourtant, ce ,'est pas tant Lezama qui est énigmatique, mais cette ville capable de porter un mouvement littéraire excentrique mené par un être hors du commun.
Cette « excentricité » du fondateur d’Orígenes, l’une des revues littéraires les plus importantes du XXe siècle sur le continent américain, est à l’origine de l’incompréhension de son œuvre de la part des lecteurs et même des acteurs culturels au service du Ministère de la Culture et de l'État. Bien entendu, les tournures insaisissables et les images hermétiques de son écriture le rendaient par ailleurs obscur, même aux yeux des lecteurs avisés. Avant que la censure et l’ostracisme ne s’abattent sur la liberté d’expression cubaine, Lezama était au centre d’une confrérie dont la production de lettres restait en quelque sorte l’affaire de quelques initiés. Dans ce cercle, les étrangers (Juan Ramón Jiménez, María Zambrano, Jorge Guillén, Luis Cernuda, Vicente Aleixander, Octavio Paz, Carlos Fuentes, Wallace Stevens, T. S. Eliot, Paul Claudel, P. Eluard, P. Valéry, A. Césaire, Saint-John Perse…) étaient souvent les bienvenus ; comme les cubains (les écrivains Ángel Gaztelu, Eliseo Diego, Gastón Baquero et Cintio Vitier, parmi d’autres) à la notoriété non encore établie.
Lorsque Lezama fonde Orígenes (1944-1956), il avait déjà été directement impliqué dans la parution de trois revues littéraires : Verbum (1937), Espuela de Plata(1939) et Nadie parecía (1942). Ephémères, ces revues ne sont pas parvenues à cristalliser les rêves du poète qui avait publié un formidable première ouvrage : le long poème Muerte de Narciso, en 1937, à l’âge de 27 ans. A l’évidence, Lezama n’était pas un auteur précoce. Qu’avait-il écrit pendant les premières années de sa jeunesse ? Pourquoi a-t-il tenté à quatre reprises l’expérience de fonder une revue en s’associant, comme dans presque toutes les publications de ce type, à une vaste liste de collaborateurs et de personnes intéressées ?
Si l’on s’en tient aux propos de ceux qui l’ont fréquenté, on définira le poète de la rue Trocadero comme quelqu'un qui appréciait les réunions et les dîners partagés entre amis. On pourrait même imaginer que ces instants mondains étaient plus importants pour l’auteur que mener une vie introspective, souvent associée aux écrivains capables de bâtir une entreprise à ce point remplie de références culturelles. Vivre intensément la dimension sociale de sa ville et de son entourage était, semble-t-il, la devise de Lezama. Voilà probablement la raison de ce besoin d’assembler autour de lui des groupes qui impliquaient, intellectuellement parlant, ses amis écrivains et artistes. Cet « Étrusque de la Vieille Havane » sentait le besoin de dessiner et de se placer à la tête de son propre « clan », ainsi que d’établir, et peut-être même de dicter, l’esthétique de son temps. Rien d’étonnant donc que son seul roman achevé (Paradiso, publié en 1966 et dont les premières pages apparurent en 1949) et la revue littéraire Orígenes soient ses deux créations les plus remarquables. En ce qui concerne cette dernière, le contexte était, bien entendu, fort favorable. La Havane de cette période était une ville où s’étaient établie grand nombre d’écrivains et d’artistes européens ayant fui la Deuxième guerre mondiale. Les Cubains qui résidaient sur le Vieux Continent étaient aussi revenus sur l’île. Dans Tristes tropiques, Lévi-Strauss a raconté son voyage, à bord du Capitaine-Paul-Lemerle, sur lequel quelque deux cents intellectuels de toute l’Europe ont traversé l'Atlantique, prêts à s’éparpiller dans le chapelet d’îles des Petites et Grandes Antilles en attendant de gagner les États-Unis. Parmi ceux-ci, le peintre cubain Wifredo Lam, mais aussi l’écrivain Alejo Carpentier et l’ethnologue Lydia Cabrera rentraient à Cuba pour y apporter leurs relations professionnelles avec Pierre Mabille, Aimé Césaire, Pierre Loeb, Pablo Picasso, Louis Jouvet, Jacques Roumain, Alfred Métraux, parmi d’autres.
La Havane du quinquennat 1940-1945 était aussi le lieu où se développait une peinture exceptionnelle. Mario Carreño, René Portocarrero, Mariano Rodríguez et Amelia Peláez offrent leurs meilleures créations. Lam retrouve ses racines cubaines et peint ses deux tableaux les plus appréciés (La jungle et La chaise). Le dramaturge et narrateur Virgilio Piñera écrit son admirable poème La isla en peso et Lino Novás Calvo La luna nona y otros cuentos. Lydia Cabrera traduit Aimé Césaire. L’écrivain espagnol Manuel Altolaguirre fonde la maison d’édition La Verónica. Le chef d’orchestre Erik Kleiber dirige la Philharmonique de La Havane. Le Capitole National et l’Université accueillent deux grandes rétrospectives de peinture de l’île et le Musée d’Art Moderne de New York la première exposition d’art cubain. On fonde également la Filmothèque Universitaire et Alejo Carpentier publie son important essai La musique à Cuba. Dans le contexte politique le premier gouvernement de Fulgencio Batista (1940-1944), élu démocratiquement, instaura une Constitution considérée, encore aujourd’hui, exemplaire dans le contexte latino-américain. Sous son gouvernement, les membres du Parti Communiste Cubain (Juan Marinello et Carlos Rafael Rodríguez), étaient pour la première fois autorisés à siéger. Cuba établit des relations diplomatiques avec l’URSS et rompt avec le régime de Vichy.
Lezama Lima va consacrer presque douze ans de sa vie à Orígenes. Il était souvent confronté à des difficultés financières cruelles, même si le riche propriétaire terrain et grand ami José Rodríguez Feo apportait les fonds essentiels pour la sortie de chaque numéro jusqu’à leur rupture. Pendant ces premières années, l’auteur – il avait fait des études de Droit à l’Université de sa ville – travaillait en tant que secrétaire du Conseil de Défense Sociale au Pénitencier du Château du Prince pour subvenir à ses besoins matériels. Un poste peu prestigieux et encombrant pour quelqu’un comme lui doté d’une sensibilité particulière.
Le temps d’Orígenes, celui de Paradiso, puis d’autres entreprises littéraires de Lezama, sera marqué par la maison de Trocadero 162 : un rez-de-chaussée dans le quartier des prostituées de La Havane (Colón) où il vivra quarante-six ans, dès 1929 jusqu’à sa mort. Cette modeste demeure sera aussi le témoin des tournures dramatiques de la vie de Lezama liées au triomphe de la révolution de 1959, puis à la déclaration du caractère socialiste du Régime omniprésent en place.
Il est vrai que pendant les premières années de la révolution, lorsque le pouvoir n’avait pas réussi à contrôler de façon hégémonique toutes les formes d’expression, Lezama avait pu obtenir un poste en relation avec ses compétences : celui de Sous-Directeur du Département de Littérature et des Publications du Conseil National de Culture, en 1959. Deux ans plus tard, il fut élu pour occuper l’une des six vice-présidences de l’UNEAC (Union Nationale des Ecrivains et Auteurs Cubains). Il publie également Dador et son Anthologie de Poésie Cubaine.
Mais le régime castriste lui enlèvera, petit à petit, les fondements de sa vie. D’abord, la famille : ses deux sœurs (Rosa et Eloísa) s’exilent à Miami. Ils ne les reverra plus. Pour Lezama cette séparation signifiait une souffrance sans égal. Dans ses Lettres à Eloísa (collectées et publiées par celle-ci aux éditions Verbum, Madrid, 1998), on le découvre tel un animal harcelé ayant perdu son troupeau. Il voit vieillir sa mère dans la douleur de l’absence de ses deux filles et petits-enfants. Pour atténuer la désolation familiale, il prend une décision à laquelle il n’avait jamais songé : se marier avec María Luisa Bautista, une vieille amie de la famille. Mais, Lezama était profondément catholique et la révolution s’acharnera également contre les religieux et toute forme d’expression en rapport avec les croyances. Ce sera le second fondement du monde lezamien ébranlé par le pouvoir révolutionnaire, auquel s’ajoutera encore un troisième : les pénuries matérielles et alimentaires. Lezama était asthmatique, mais ce handicap ne l’empêchait pas d’être ressenti comme un bon vivant. L’absence réelle de médicaments pendant la décennie des années 60 le laissait dans un état permanent d’angoisse. Dans les lettres citées il raconte à sa sœur ses démarches auprès des éditeurs italiens, français, ou encore de Julio Cortázar afin de se procurer les médicaments pour soulager son anomalie respiratoire. D’autre part, le rationnement de denrées alimentaires était aussi un sujet courant dans ses lettres et conversations : une tranche de jambon espagnol et quelques olives signifiaient un vrai festin lorsqu’il parvenait à s’en procurer grâce à des colis expédiés depuis Miami. Cette idée de la table vide, de la famille déchirée, de ses croyances vitupérées et de l’asthme le menaçant comme un ennemi invisible sont des indicateurs pertinents pour comprendre les quinze douloureuses dernières années du poète.
Lorsqu’en 1972, ses Poésies complètes reçoivent le Prix Maldoror, à Madrid et son roman Paradiso est déclaré "la meilleure œuvre hispano-américaine traduite en Italie“, Lezama – comme s’il exhalait un dernier soupir –, écrira à sa sœur Eloísa : «A quoi peuvent désormais servir déjà ces choses-là ?». Si Lezama était déjà considéré un auteur d’un anachronisme incontestable dans La Havane puissante et moderne des années 40 et 50, après le triomphe de la révolution de 1959 il sera, aux yeux des autres, plus qu’un être anachronique, un être hors du commun, celui qui habitait la maison de Trocadero, 162. De nos jours, il est le survivant d'une époque révolue ou le rescapé d'un cataclysme dont les conséquences sont encore visibles.